Le Parisien du 6 juin 2000 :

Pour la première fois, un ancien ingénieur du Centre de recherche de Vaujours (Seine-Saint-Denis) confirme que des essais nucléaires y ont bien été conduits dans les années cinquante. Le site, aujourd'hui en vente, pourrait être contaminé.

« J'ai réalisé des tirs d'uranium à Vaujours »

LA PREMIERE BOMBE atomique française fut en partie testée en
Seine-Saint-Denis. Ingénieur pendant trente ans au CEA (Commissariat à
l'énergie atomique), Lucien Beaudouin, un physicien de 79 ans, a décidé de
dire toute la vérité sur les activités du Centre de recherche de Vaujours
(Seine-Saint-Denis), fermé fin 1997 et promis à la vente par adjudication.
Cet ancien fort dissimulé au coeur de 45 hectares de verdure a été
construit après la guerre de 1870. C'est là que les spécialistes ont mis au
point la partie explosive de la première bombe atomique française entre
1955 et 1960. La partie nucléaire ayant été fabriquée au CEA (Commissariat
à l'énergie atomique) de Bruyères-le-Châtel (Essonne).

De l'uranium dispersé dans la nature


Le site de Vaujours-Courtry où travaillaient 800 salariés sera bientôt
rendu au public. L'enquête d'utilité publique s'est achevée samedi. On ne
pourra y bâtir ni écoles ni logements... par crainte de risques pour la
santé. Des particules d'uranium naturel, dangereuses pour les enfants,
seraient dispersées dans la nature. « A l'époque, en 1955-56, date des
débuts de l'activité du CEA, les gens avaient traduit CEV qui veut dire
Centre d'études de Vaujours par Centre d'études en vol, se souvient Lucien.
Ils pensaient qu'on travaillait sur les avions. On ne les a jamais
contredits. En fait, on commençait à étudier la charge explosive qui fait
partie de la bombe atomique. » Lucien Beaudouin oublie le physicien qu'il
était, tenu au secret, et explore sa mémoire. Il a besoin de « soulager sa
conscience ». « Au début, j'ai réalisé des tirs d'uranium. Des centaines...
Jusqu'à huit par jour pour un seul poste de tir. J'en suis responsable.
J'ai obéi aux ordres de mes supérieurs... » Il raconte comment, avec ses
collègues, il s'appliquait à percer le secret de cet engin de mort mis au
point à Vaujours, qui sera testé avec succès pour la première fois le 13
février 1960 dans le Sahara algérien.

Jusqu'à huit tirs par jour


« On faisait des tirs d'engins simulant une bombe atomique avec des métaux
moins dangereux que le plutonium. Le seul, dangereux entre guillemets,
c'était l'uranium, un métal radioactif. Certains tirs, disons,
contaminants, étaient faits dans des casemates enterrées, d'autres, à l'air
libre. » Et de décrire ces feux d'artifice très spectaculaires la nuit. «
Les morceaux d'uranium partaient comme une fusée dans l'air. » Des
activités à risque, selon lui : « La désintégration de l'uranium peut
produire d'autres métaux très dangereux... des gaz aussi peuvent
s'échapper, beaucoup plus radioactifs que l'uranium ! » Ces expériences
n'auraient toutefois, à sa connaissance, jamais agi sur sa santé ni celle
de ses collègues. Mais il y a encore plus inquiétant. « Disons que quelques
kilos d'uranium sont dispersés dans la nature, peut-être à 100-150 mètres
en dehors des limites du fort », précise-t-il. Il ajoute : « Je ferais
attention, si j'avais des enfants qui tripotent la terre et qui pourraient
en avaler. Car les produits de désintégration de l'uranium sont très
pénétrants. » Les Verts de Temblay-en-France sont aussi sceptiques sur
l'état de décontamination du site. Ils remettent en cause la partialité des
relevés des émissions radioactives. Et « réclament une contre-expertise
faite par un organisme indépendant ».

Gilles Cordillot

Les révélations
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